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Jeudi 2 juin 2016

Derniers instants à Épinay

Hier après-midi, j’ai rendu les clés de l’appartement. Après avoir fait l’état des lieux, envoyé les derniers cartons et salué les gens qui m’étaient les plus chers ici, me voilà en route pour récupérer ma famille. Il y a quelques jours, j’ai laissé ma femme chez sa mère avec nos deux enfants, afin qu’ils aient le temps de bien se préparer. Demain matin, in châ Allah, nous prendrons le chemin du départ.

Un peu plus tôt dans la journée, alors que je passais saluer l’un de mes professeurs, son sourire aux lèvres m’a questionné : Tu te sens bien ? – Je lui ai répondu : J’ai l’impression de m’être débarrassé d’un énorme sac plein de grosses pierres qui pesaient sur mon dos ! Et j’ai ce ressenti depuis l’instant même où j’ai rendu les clés de l’appartement !  Je lui ai dit ça comme si j’avais enfin brisé mes chaînes et que je me préparais à la grande évasion. Oui, et je pèse mes mots. Il est clair que ce genre de ressenti est un luxe. C’est un sentiment de liberté rare à une époque où les gens sont enfermés à l’air libre. En effet, malgré la liberté apparente, beaucoup d’entre nous sont prisonniers. Prisonniers des crédits qu’ils ont contractés, des habitudes qui les ont bercés et du confort auquel ils sont accrochés ; ou encore prisonniers parce qu’enchaînés par la pression sociale et familiale, la peur de l’inconnu et bien d’autres choses encore. En fait, les causes sont multiples, parfois justifiées, rarement. Mais quoi qu’il en soit, elles empêchent beaucoup de gens dans notre cas de faire le pas. Et je parle ici d’un pas important. Vital même. Un pas dont peut découler l’équilibre et la survie de nombreuses familles. Le pas qui fait que le musulman et la musulmane cherchent un endroit pour vivre en paix leur religion, sans être regardés comme des criminels ou des assassins, et pouvoir enfin s’épanouir là où ils œuvrent, plutôt que de passer leur temps à se justifier. C’est-à-dire un pas pour sortir de ce statut de sous-citoyens à qui l’on fait payer des impôts, qui partagent toutes les peines du peuple du pays où ils ont grandi, leur pays en fait. Mais qui, en définitive, restent confinés dans des sous-zones, qu’elles soient morales ou géographiques, ou les deux. Une connaissance m’a dit : Partir, c’est de la lâcheté ! A mon avis, la lâcheté c’est plutôt d’accepter d’avoir à se justifier de prier dans la rue tandis que nos concitoyens peuvent y copuler et y uriner allègrement. Oui, c’est caricatural comme les unes de Charlie-hebdo, mais pourquoi serait-ce toujours les mêmes dents qui grincent ? En fait, j’en suis à un stade où je n’ai pas envie de me battre pour avoir le droit de vivre en « égal » à vos côtés, je n’ai tout simplement pas envie de vivre à vos côtés. Aimez-la ou quittez-là ! qu’ils disaient. C’est bien plus nuancé que ça en fait. Quoi qu’il en soit, et quoi qu’il puisse m’en couter à l’avenir, j’ai pris la route pour préserver les miens et ne compte pas faire marche arrière. Je ne le ferai que contraint. Et si c’est le cas, je recommencerai pour une autre destination. Encore et encore. Voilà quelques bribes de ce qui m’anime au volant de ma voiture fraichement apprêtée. Je pense mieux connaître la France, son histoire et sa culture que bon nombre de français. Je n’ai rien d’un étranger en France, contrairement à vers là où je me dirige. Mais ce qui me lie à ceux vers qui je me tourne est bien plus fort que ce qui pourrait me retenir auprès de ceux qui m’ont déjà tourné le dos. Comme en témoignent les premiers mots qui me viennent à l’esprit au moment où je suis en train de commencer ce voyage.

 

1 Formule qui signifie : « Si Allâh le veut ». Le musulman fait des plans, se fixe des objectifs, fournit les efforts pour provoquer les causes mais s’en remet toujours à son Créateur, en qui il place sa confiance. De surcroît, il sait que rien ne se réalise sans qu’Allah ne le veuille et que s’il n’atteint pas ses objectifs, il y a une sagesse divine qui se cache derrière, ce n’est pas forcément un échec.

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